"Die Schlampen sind müde" aura été le premier album du duo à se classer dans les charts allemands, quelque part vers la 30e place.
L'année 98 marque le début timide de la notoriété pour AnNa et Peter : ils participent aux sélections pour représenter l'Allemagne au concours Eurovision avec une nouvelle chanson, "Herzensschöner". Présenté avec enthousiasme par Nena, le groupe se fait remarquer par sa prestation et même s'il s'incline devant Guildo Horn et renonce donc au concours Eurovision, son premier best-of paru dans la foulée rencontre un assez grand succès, porté par le single "Herzensschöner".
Le titre de ce nouvel album est presque un programme : du sucre ! On peut donc s'attendre à ce que Rosenstolz enfonce le clou du kitsch et du sirupeux avec ce sixième album studio. C'est le cas, certes, mais c'est plutôt du sucre glace : si les orchestrations sont toujours opulentes et toujours aussi soignées, elles sont incroyablement fluides, légères et digestes.
Cet album, qui a mon sens est le dernier album véritablement "rosenstolzien", marque l'apogée d'un style qu'ils auront façonné et perfectionné pendant 8 années consécutives. C'est pourtant un album inégal, trop long, qui s'essouffle considérablement sur sa deuxième moitié, qui aurait pu être facilement raccourcie de 2 ou 3 chansons.
Le disque s'ouvre sur une somptueuse ballade qui instaure une atmosphère rêveuse et lunaire, portée par la voix toujours plus limpide d'AnNa. On est à la fois en terrain connu et nouveau, prêt à se laisser entraîner dans un univers de plus en plus luxuriant et soyeux.
Mais dès le deuxième titre, un pied de nez auquel on aurait pourtant dû s'attendre : "Schiess mich jetzt ab" et son rythme très pop marque le retour de la gouaille et d'une certaine provocation.
S'ensuit un véritable hymne qui accroche d'emblée l'oreille grâce à son refrain scandé et ses orchestrations foisonnantes : "Fütter Deine Angst" s'inscrit dans la lignée de ces chansons "donneuses de courage" qui deviendront petit à petit la caractéristique du duo.
Les quatre chansons qui suivent sont toutes placées sous le signe de la sensualité, abordée sous divers aspects : dans "Perlentaucher", AnNa implore son pêcheur de perles de l'emmener avec lui au fond des océans, peu importent les vagues ou les dangers. Un refrain entêtant, qui évoque un peu celui de "Der Moment", fait de cette chanson une ballade marquante et un tube immédiat.
"Nackt (Juli)" évoque elle aussi la sensualité et l'abandon à l'être aimé de manière beaucoup moins imagée : la nudité y est explicitement désirée, exigée et érigée comme mise à nu des sentiments. Une chanson d'une sensualité et d'une tension incroyablement palpable, prenante et émouvante, qui évoque illico des images très cinématographiques, en technicolor bien entendu.
Alors que "Schlange" enchaîne sur des sonorités vaguement orientales assez inhabituelles et envoûtantes pour évoquer la cruauté de l'acte amoureux et encore une fois l'abandon total à l'autre, "Nirwana" enfonce le clou sur une rythmique plus martiale et lancinante : attache-moi, fais de moi ce que tu veux, je m'offre à toi. AnNa passe sans cesse d'un côté à l'autre, maîtresse puis dominée, mante religieuse puis amoureuse éperdue.
Ce "sexté gagnant", qui séduit d'emblée par la diversité de ses horizons musicaux, par une aisance vocale épatante et des compositions incroyablement soignées, se termine en apothéose par une des plus belles ballades du duo : "Ein anderes Gefühl vom Schmerz". Un texte fort, une musique épurée, presque dépouillée, une voix imposante pour une alchimie parfaite.
À partir de là, l'album semble ne plus trop savoir où aller, et si la diversité de la "face A" semblait évidente et cohérente, la "face B" semble un peu s'embourber dans des compositions qui ne sont pourtant jamais mauvaises. Une reprise du groupe Spliff ("Heute nacht") suivie de deux chansons très enlevées (dont le tubesque "Das Ende meiner Karriere") font encore mouche et semblent orienter l'album vers une direction pop-rock très assumée.
"Vom Wesen der Liebe" et "Ich und mein Prinz" (chantée par Peter) sont à mon goût les deux morceau qui auraient très bien pu être écartés de l'album.
"Mir muss es nicht gut gehn" s'inscrit dans la lignée des "Wenn du jetzt aufgibst" ou autres "Weine nicht", ballades lacrymales aux textes mélodramatiques et emplis d'espoir. Une brève reprise instrumentale de "Nackt" et une nouvelle version, plus dynamique, de la chanson d'ouverture viennent conclure ce bel album qui n'aura hélas pas tenu ses promesses alléchantes sur toute sa durée. On aurait gagné à raccourcir un peu le tout, à mon avis.
Il n'en reste pas moins que "Zucker" signe à mon sens, et même si je lui préfère infiniment "Die Schlampen sind müde", l'apogée du style forgé par Rosenstolz. Si on y trouve moins d'exubérances que dans les albums précédents, on y reconnaît la griffe typique du duo qui oscille entre le mélo et la sensualité, la mélancolie et la provocation, le tout dans des orchestrations et des compositions soignées aux couleurs chaudes et chatoyantes.
"Kassengift" sera l'album charnière, à la croisée des chemins, avant que la rupture ne soit définitivement consommée avec "Macht Liebe". Mais c'est une autre histoire