Le voilà donc, l'album de la rupture, celui qui aujourd'hui encore divise les fans plus que tout autre.
Quelques années plus tard, Peter racontera qu'en lisant et en entendant les réactions des fans, le groupe s'était rendu compte à quel point ce changement radical les avait perturbés, déstabilisés. C'est certain, comment un amateur de cordes sirupeuses, d'orchestrations opulentes, de ballades mélodramatiques, de chant de diva déjantée pouvait-il retrouver son duo favori dans cette froideur électronique ?
En effet, le choc est grand à la première écoute : mais que s'est-il passé ?? Où est la voix d'AnNa ? Quelle est cette musique glaciale, impersonnelle ? Est-ce vraiment Rosenstolz ?
"Sternraketen", premier single de l'album, ouvre le bal avec sa mélodie mécanique et son refrain quelque peu enfantin. On y parle de soucoupes volantes et le clip nous montre AnNa et Peter en train de danser avec des extra-terrestres. Le look arboré par nos complices va lui aussi complètement à l'encontre de la classe, de l'élégance naturelle et du côté "mondain" des Rosenstolz que nous connaissions : un jogging Adidas orange !
Suivent deux autres morceaux purement électro, "Macht Liebe" et "Paradies", qui semblent confirmer que Rosenstolz s'est définitivement orienté vers de nouveaux horizons. Ce n'est pas désagréable, ce n'est pas raté, mais... ce n'est pas Rosenstolz ! La voix d'AnNa est comme "bridée", étouffée, dans le murmure ou la retenue permanente. Paradoxalement, les paroles très "peace and love" contrastent avec la froideur de l'ensemble.
On respire un peu en entendant le piano qui ouvre "Es tut immer noch weh", second single et classique instantané du duo. L'ambiance se réchauffe de quelques petits degrés, l'auditeur retrouve un peu ses marques : voilà une ballade typique du groupe, avec un texte qui explore le sentiment amoureux de façon poignante.
La suite de l'album semble se dérouler de façon tout aussi mécanique. On peine à distinguer les chansons dans ce fouillis de synthétiseurs et de rythmes hachés. On va retenir "Ich verbrauche mich", seconde ballade qui se détache un peu du lot, mais "Unsterblich" ou "48 Stunden" vont demander un long apprentissage avant de se laisser apprivoiser et de révéler leur richesse. "Prinzessin auf dem Abstellgleis" semble un condensé de noirceur et de désespérance, éclairé enfin par la présence des cordes et du piano.
Dernière piste de l'album et avant-dernière "chanson à mois", "Tag in Berlin" ressuscite tout à coup les Rosenstolz que nous connaissions : proche de l'esprit "chanson française" qui animait "Samstags" autrefois, avec des sonorités d'accordéon et de contrebasse. Seule la voix d'AnNa constitue encore une barrière qu'il faudra du temps à franchir. Il faudra faire le deuil des délires "opératiques" des débuts, désormais la puissance de ce chant reste discrète, tout en retenue.
Voilà donc un album qui demande du temps. Ou plutôt, qui demande d'oublier tout ce que nous savions de Rosenstolz. Alors, à y écouter de près, on y entend souvent l'influence de "Music", l'album de Madonna paru quelques mois auparavant, en particulier dans ces rythmiques électro syncopées couplées à des guitares acoustiques (sur "Komm doch mit" en particulier). On y trouve une forme de remise en question radicale qui plaira ou pas, mais qui demande un effort énorme à l'auditeur.
Pour en revenir aux réactions des fans que j'évoquais au début de cette chronique : voyant le désarroi provoqué par cet album auprès de leurs fans les plus fidèles (qui constituaient encore à l'époque un public relativement restreint), AnNa et Peter décidèrent alors de réorchestrer entièrement toutes les chansons pour la tournée qui suivrait l'album. L'électro glaciale allait faire part à la chaleur des guitares et à une ambiance plus rock pour un résultat magistral que je commenterai dans ma prochaine chronique.